L’Enquête de Renée Biret

Le roman épistolaire L’Enquête de Renée Biret se présente en plusieurs épisodes. Dans ce deuxième lot de lettres, Renée écrit à quatre filles à marier (Filles du Roy) du contingent de 1663.
Lire aussi l’épisode précédent et les épisodes suivants.

Fin avril 1664

LarochelleDe Renée à Marguerite Moitié
Le vingt-quatrième jour d’avril de l’an de grâce mil six cent soixante quatre
De Renée Biret à Marguerite Moitié, épouse de Joseph Gauthier, Île d’Orléans
11

Courageuse Marguerite,

Avant de croiser ta tante Mathurine sur la place du marché la semaine dernière, je ne savais pas que tu lui avais fait porter un deuxième pli, qu’on vient tout juste de lui remettre, dû à je ne sais quel oubli du coursier. Les seules nouvelles qu’elle avait eues de toi et de ta sœurette Catherine sont celles de ton premier pli, envoyé sitôt votre arrivée à Québec l’an dernier et ne relatant que votre dure traversée. Tu imagines mon contentement d’avoir confirmation de ton installation à l’Île d’Orléans, que j’avais apprise chez les Sœurs de la Providence, et de savoir maintenant précisément avec qui tu es mariée et où t’envoyer une lettre.

Ne t’étonnes pas de mon initiative épistolaire d’autant plus étonnante que je ne sais pas écrire : la chimère de retracer Hélie Targer en Nouvelle-France me pousse à la folle entreprise de mener enquête par correspondance en usant des bons services de ma tante Sarah, laquelle te salue au passage. J’ai déjà fait partir 5 lettres sur Le Noir d’Amsterdam il y a vingt jours, dont une à la cousine d’Hélie, Marie Targer; une à Marguerite Ardion, une à Marie Valade et une à Jeanne Repoche, en leur demandant toutes de participer à mes recherches. Les trois dernières, en tant qu’amies sincères, ne sauraient me faire défaut, tout comme toi.

Je suis fermement décidée à ne manquer aucun appareillage en partance de La Rochelle vers le Canada pour introduire à bord du navire une liasse de lettres de la main de ma tante sous ma dictée. Toutes lettres destinées aux unes et aux autres, filles à marier de nos amies ou simples connaissances et à d’autres personnes susceptibles de contribuer d’une quelconque façon à mon enquête. Tu me trouves probablement étourdie et présomptueuse d’agir ainsi. Ça ne l’est pas. Cet hiver, en écumant la ville en quête de toutes les dépêches parvenues dans les familles des filles de La Rochelle parties se marier en Nouvelle-France, j’ai mesuré combien le courrier est plus riche qu’on ne l’imagine entre les deux continents, combien on met d’efforts pour le faciliter, combien on l’estime utile pour soutenir le moral et prévenir l’alanguissement de nos gens là-bas.

Cette idée de correspondre a cheminé en moi à mon insu, car je viens à peine de la concrétiser en observant les préparatifs de départ du premier navire vers Québec cette saison. Je guette maintenant chaque navire dans le port, en ce moment, j’ai un œil sur l’Aigle Blanc, et je dicte avec frénésie des missives que j’espère sensées en implorant le Ciel qu’elles se rendent à leurs destinataires sans encombre.

Jusqu’à ce que tante Sarah crie grâce, je poursuivrai l’épuisante et utopique tâche d’enquêter sur mon fiancé. Je soupçonne qu’elle y prend un certain plaisir et qu’elle sera longue à mettre un terme à mon projet. Elle me fait un signe de tête encourageant en ce sens. Comme on ne peut prévoir lequel des nombreux bâtiments traversera la mer le plus rapidement, on peut penser que les lettres n’atteindront pas le Canada nécessairement en ordre d’envoi, si bien que tu pourrais recevoir celle-ci avant celles écrites à Marguerite, à Marie et à Jeanne, parties vingt jours plus tôt. Je suis consciente que les informations que je donne de moi vont se recouper et je souhaite que vous les partagiez entre vous au gré de vos rencontres, si vous en avez.

En février, j’ai quitté mon emploi au marché et je me suis embauchée à l’auberge La Pomme de Pin par l’entremise de ma tante Sarah qui est en charge des lessives depuis quelques années déjà. Le travail de lavandière n’est pas pour me déplaire, bien qu’il soit plus astreignant. La proximité des voyageurs qui peuplent l’auberge me ravit davantage que d’écouter le bavardage des commères au marché, car avec les premiers, on sait tout ou presque sur la Nouvelle-France. Il me tarde de recevoir les réponses à mes lettres cet automne prochain et d’évaluer le bien-fondé de tout ce qui se propage en ces murs au sujet de la colonie. Les choses les plus inouïes se disent sur la froidure, les indiens, l’absence d’église, de milice et de farine. Comment vous chauffez-vous, vous protégez-vous, priez-vous et mangez-vous ? Tu vas me le raconter. Mais, me fait pertinemment remarquer tante Sarah, vous êtes devenues des épouses nourries, protégées et bénies, et que désirer de plus quand on était de braves filles du commun qui avaient un avenir indigent sans foyer pour les entourer ? Sa remarque est appropriée, vraisemblablement. Pourquoi alors est-ce qu’une petite voix me surine à l’oreille que je suis cent fois plus pénarde en demeurant ici à attendre mon improbable mariage ? Le courage qui ne m’habite pas explique un peu cela. Voilà pourquoi je commence ma lettre en saluant cette belle qualité chez toi.

Je t’embrasse tendrement et te remercie bien à l’avance d’accepter de participer à mon dessein de retrouver Hélie au Canada.

Ton amie affectueuse mais peu courageuse,

Renée Biret 

 


QuébecDe Marguerite à Renée
Seigneurie de Liret, le treizième jour du mois d’août de l’an mil six cent soixante quatre
À René Biret, Auberge de la Pomme de Pin, cité de La Rochelle
12

Imprévisible et couarde Renée, 

Quelle surprise que ta lettre arrivée après celle envoyée à notre amie Marguerite Ardion, qui a eu l’amabilité de partager avec moi tes nouvelles. J’avoue m’être morfondue pendant le mois qui a séparé l’arrivée à Québec du Le Noir, le 25 mai et celle de l’Aigle Blanc, le 29 juin, en me désolant que tu ne m’aies pas écrit en même temps qu’à Marguerite. Tu connais ma «patience de jeunette» comme tu appelais souvent mon impatience. Je suis bien obligée de la développer maintenant : ce n’est pas parce que j’ai dix-huit ans que je vais fabriquer mon petit plus vite qu’en neuf mois. Il naitra en novembre, comme il se doit. Et cet aspect de ma vie ici n’est pas le seul à aiguiser ma patience… Heureusement que tu me concèdes le courage, probablement celui de m’être lancée dans cette aventure, car c’en est bien une, mais je dois tempérer le compliment. Les Sœurs de la Providence ont pesé de tout leur poids pour nous inciter, moi et ma sœur, à prendre cette décision de partir pour la colonie, décision plus audacieuse que je le croyais alors, décision que je ne regrette pas encore. Le vrai courage, ce sera de continuer à trouver que c’était la bonne. Suffit de discourir sur des si et des peut-être, passons aux nouvelles.

Je t’écris avec le concours d’un compère de mon voisin, mais je ne t’écris pas pour raconter notre quotidien ardu d’habitants. Ça, les gens de La Rochelle le colportent à profusion grâce aux nombreuses dépêches en provenance de la Nouvelle-France, qu’ils se lisent les uns aux autres. Tu n’en ignores sûrement pas le contenu, lequel est possiblement assez proche de la vérité. Non, je compte battre Marguerite Ardion de vitesse avec une prompte réponse, car moi, j’ai appris quelque chose sur ton Hélie par la bouche même de mon mari, Joseph-Élie Gauthier et je vais me démener pour que ma lettre parte sur le prochain navire à faire la traversée en direction du port de La Rochelle.

Venons-en au fait : figure-toi que Hélie Targer, son ami Simon Pépin et mon mari ont été compagnons de traversée en 59 et qu’ils ont baguenaudé ensemble à Québec durant un certain temps après leur débarquement avant de filer chacun de leur côté. C’est ici que je vais peut-être te décevoir, car Joseph-Élie n’a pas gardé contact avec ton Hélie, mais il a su que Pépin, dont il a particulièrement prisé la bonne humeur, avait trouvé à se placer sur le chantier du gouverneur. Est-ce que le gai Pépin et le sombre Targer sont restés en lien l’un avec l’autre dans les environs de Québec ? C’est ce que je vais m’employer à découvrir désormais, par le biais de mon bavard de mari. Joseph-Élie fait plusieurs fois par semaine la navette entre l’Île et Château-Richer, en face, où aboutissent toutes les rumeurs provenant de France, lors des mariages qui sont consacrés dans cette église. D’ailleurs, c’est là que je me suis mariée, comme Marie Targer, qui habite à moins d’une demi-lieue au sud-ouest de chez nous. Celle-là, dont je connais l’opiniâtreté, ne t’apprendra rien sur Hélie si tel est son désir. Je n’entends pas parler de Marie tellement elle se fait discrète. Elle et son mari, sa sœur et son beau-frère, vivent à moins d’une dizaine d’arpents les uns des autres et ils font leurs petites affaires sans se mêler aux autres censitaires. Les hommes se plaignent de leur manque d’avenant quand vient le temps de partager les travaux communs sur la seigneurie. Marguerite Ardion et moi sommes séparées d’une bonne lieue sur le même versant de l’île, et on se voit peu, mais nos maris se rencontrent et c’est par eux qu’on apprend l’état des autres fiefs et de leurs censitaires. Aux dires de Jean Rabouin, mari de Marguerite, la grogne des voisins du ménage Targer-Royer commence à se faire sentir sur l’île. Il n’y a pas de malveillance dans ce ragot car je tiens Jean Rabouin pour pondéré et Marguerite le tient pour parfait. Je me garde d’épiloguer sur l’union de Marguerite avec lui quand c’est quelqu’un qui écrit à ma place.

J’avoue que les commérages sur les filles à marier parties de La Rochelle l’an dernier me laissent indifférente : j’ai trop à faire pour y accorder quelque intérêt, mais Marguerite, qui s’émeut facilement, semble s’en repaître. Je ne sais pas ce qu’elle va te répondre au sujet de ton enquête, mais je doute qu’elle puisse tirer quelque chose de la Targer. Notre Marguerite cherche un truchement pour rédiger à sa place en ce moment, et je doute qu’elle le trouve de sitôt. Elle devrait accoucher en même temps que moi et elle se morfond déjà pour trouver une accoucheuse qui l’assistera : je crois que la naissance de son fils lui avait donné du fil à retordre. Je comprends ses inquiétudes même si je ne les partage pas. Dans ce lieu où les femmes sont assez isolées les unes des autres, nous pratiquons l’entraide comme une règle absolue entre nous. Par contre, je peux imaginer combien l’enquête sur Hélie doit être de second ordre dans les priorités de Marguerite, même si elle se prétend très dévouée envers toi.

Enfin, quelques mots sur mes succès et mes désillusions. D’abord, je suis extrêmement fière de ma culture de naveaux, de betteraves et d’oignons qui me donneront certainement un boisseau bien pesé. Ensuite, je suis un peu déçue du rendement en bleds froment de notre lot. Joseph-Élie passe plus de temps à demander conseils aux voisins sur le maniement de la houe qu’à la manœuvrer lui-même, et plus de temps sur sa barque à ramer d’une rive à l’autre qu’à y pêcher. C’est merveille qu’on réussisse malgré tout à avoir le poisson voulu pour chaque jour maigre. Par contre, depuis le début de l’été, il n’a pas négligé de me ramasser à foison fraises et framboises qui poussent par dépit sur les hauteurs du lopin. Cuits avec la sève d’érable sucrée, ces petits fruits forment une compote délectable. Tu sais que la gourmandise est un défaut luxueux que je n’ai jamais pu exploiter, mais je m’y mets sérieusement depuis mon établissement sur cette terre. L’astuce de la sève d’érable condensée est la découverte la plus épatante que j’ai faite depuis mon arrivée. Ne me demande pas comment on tire le jus de l’arbre, c’est les indiens qui pratiquent cette opération. Ils nous ont fourni le fameux nectar pour une quantité d’une roquille en mars. Je devrai apprendre à le ménager car ils n’en font qu’au printemps seulement. Joseph-Élie m’affirme que les érables poussent en grand nombre en haut de la terre, là où je ne suis pas encore allée. Peut-être me mettrai-je à la récolte de la sève quand j’en saurai davantage. Joseph-Élie préfère traiter avec les indiens, mais j’aspire à obtenir plus que ce qui est offert.

Je dois terminer ici si je veux faire diligence. Puis-je te demander de transmettre mes amitiés à ma tante et à mon oncle et les assurer de ma tendre affection ? Ce sont les seuls parents qu’il me reste à La Rochelle et je garde scrupuleusement dans ma mémoire leur bienveillance envers moi et ma sœur au moment du décès de notre père et au jour de notre embarquement. Je ne crois pas pouvoir leur écrire de nouveau. Catherinette le fera peut-être depuis Ville-Marie. Je ne l’ai pas revue après notre séparation sur le quai de Québec l’an dernier, la laissant en compagnie de ses grandes amies Catherine Paulo et Françoise Moisan. Son abandon et notre séparation sont l’objet de ma seule véritable tristesse en ce pays.

Très affectueusement et résolument,

Marguerite Moitié

LarochelleDe Renée à Catherine Barré
Le vingt-cinquième jour d’avril de l’an de grâce mil six cent soixante quatre
De Renée Biret à Catherine Barré, Nouvelle-France
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Chère Catherine,

Jusqu’à ce que ta mère reçoive de tes nouvelles en décembre dernier, nous savions peu de chose sur la traversée du Phoenix de Flessingue et nous nous imaginions le pire, après le rapport de traversée désastreux de L’Aigle d’Or relaté par les autorités. J’ai hésité à t’écrire au début du mois, car notre conversation en aparté avant ton embarquement m’avait laissé une vague appréhension de malheur contre laquelle j’ai lutté longtemps après ton départ et qui m’étreint encore. Combien je t’ai sentie nerveuse et chagrine de quitter La Rochelle et comme j’aurais voulu te rassurer à ce moment précis ! Durant tout le reste de l’été, j’ai pensé à toi en me morfondant de n’avoir pas su trouver des mots de réconfort, des mots pour te consoler de ta peine et qui m’auraient fait retrouver ma joviale amie d’enfance. Pour avoir longuement parlé avec ta mère au cours de l’hiver, j’ai acquis la conviction que tu n’as pas été rejetée par sa décision de te donner à marier en Nouvelle-France. Les charges qui reposent sur les épaules d’une veuve désargentée à la tête d’une famille nombreuse sont plus lourdes qu’on se l’imagine. Le décès de ton père et la perte du brevet de maître-pâtissier qui s’en est suivi pour les tiens ont anéanti tes chances d’être convenablement dotée, ce que ta mère ne tolérait pas pour sa dernière-née. Catherine chérie, tu ne peux pas lui reprocher cela. Je te connais assez bien pour savoir qu’au fond de toi, tu nourrissais les mêmes vues vis-à-vis tes espérances de mariage.

J’espère que cette lettre inespérée que je t’envoie va mettre un peu de baume sur ton cœur et te rendre le sourire qui te caractérise si bien. J’aime à penser, Catherine, que tu es heureuse en Nouvelle-France. Évidemment, je formule ce souhait pour toutes mes amies, mais c’est ton malheur qui me toucherait le plus si je venais à l’apprendre. Promets-moi de te ressaisir et d’œuvrer à ta félicité.

Avec la bonne volonté et la science de ma tante Sarah qui prend la plume à ma place, j’ai entrepris d’écrire à nos amies de La Rochelle parties se marier dans la colonie l’an dernier : les deux Marguerite, la Ardion et la Moitié;  Marie Valade et Jeanne Repoche, afin de leur rappeler leur promesse de faire des recherches sur le lieu de résidence d’Hélie Targer là-bas. Je me souviens de t’avoir demandé la même chose, mais je te pardonne si tu n’as pas retenu grand-chose de ce que je t’ai dit au moment de ton embarquement. Tu t’étais réfugiée dans ton mouchoir trempé de pleurs.

Chère Catherine, tu es probablement la confidente la plus chère que j’ai eue dans mon histoire d’amour avec Hélie. Que de secrets nous avons partagés toutes les deux depuis le début de mes fréquentations avec Hélie jusqu’à mes discrètes fiançailles, suivies de son engagement pour la Nouvelle-France. Comme tu m’as soutenue quand j’étais éplorée par cette décision qu’il a prise pour nous assurer un meilleur avenir ! Au cours des quatre dernières années, tu as partagé avec générosité mon attente de ses nouvelles, puis de son retour à La Rochelle. Au contraire de plusieurs personnes qui se sont amusées de ma déconvenue amoureuse, tu as toujours cru à l’attachement d’Hélie et tu n’as jamais douté de l’accomplissement de sa promesse envers moi. Aussi es-tu la plus fidèle d’entre toutes et celle qui peut s’investir avec fièvre dans mon enquête.

Je sais, je veux, j’implore que le premier navire à rentrer de Nouvelle-France cet automne m’apporte la nouvelle de ta bonne santé, de ton mariage, de ton établissement sur un bon lot (car c’est ce qu’il faut principalement vouloir pour les filles à marier), et peut-être même l’annonce de ta grossesse, car de ce dernier atout pour te rendre heureuse je ne hasarde point.

Ton amie de toujours et à jamais,

Renée

 


QuébecDe Catherine à Renée
Québec, le trentième jour du mois d’août de l’an mil six cent soixante quatre
À René Biret, cité de La Rochelle
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Bonne et irremplaçable amie,

Il n’y a pas encore une année qui me sépare de mon départ de La Rochelle et il me semble qu’il s’en est écoulé deux, trois et même quatre, tellement je vis un tourbillon d’événements ! Et chère amie, c’est la lecture de ta lettre inattendue qui m’en a fait prendre pleinement conscience. Laisse-moi démêler l’écheveau de mes aventures et te raconter ce que tu tardes tant à apprendre.

Rien n’était conclu pour mon mariage quand j’ai adressé un second pli à ma mère, parti sur le dernier navire à quitter le port de Québec. Mais tout s’est précipité trois jours plus tard, le 22 octobre, quand j’ai épousé le bourgeois dieppois Nicolas Roy d’Harcanville, un bel homme rencontré deux semaines auparavant en la maison de Jean Bourbon, où je logeais depuis mon arrivée à Québec.

Nicolas Roy, bien que maçon de métier, n’a pas obtenu l’engagement de 36 mois pour venir ici en 61 et il a dû emprunter au notaire Gloria pour son passage, une dette qu’il n’a pas encore fini de rembourser. Comme plusieurs contrats d’ouvrages en maçonnerie lui ont échappé l’année dernière, il s’est empressé au mariage afin  d’obtenir un des lots destinés à ceux qui veulent défricher et qui ont pris femme. La saison d’hiver était très avancée quand on nous a finalement assigné une terre de deux arpents sur front de mer, prise dans la seigneurie de Bellechasse, sur la coste du sud, face à l’Île d’Orléans. Nous ne pouvions pas y aménager avant le printemps et nous avons passé l’hiver à Québec. Étant donné ma complète ignorance de ce qu’est une «terre en bois deboutte», j’ai coulé des jours relativement confortables dans la chambre que Nicolas louait sur la rue St-Pierre, sans me douter une minute que je me retrouverais quasiment sur la paille en mai. Ho, Renée, quelle dégringolade ai-je subie lorsque notre barque chargée de nos pénates et du fourbi à déboisement a accosté dans l’anse Bellechasse ! Pas une maison en vue sur une lieue à la ronde; pas d’autre route qu’un étroit sentier indien; pas même une perche de champ libre derrière la grève rocheuse; rien qu’une forêt dense et bourdonnante de moustiques. Le sourire que tu apprécies tant et qui m’était revenu en débarquant à Québec huit mois plus tôt, m’a de nouveau quitté. Durant la semaine qui a suivi, deux colons établis plus au sud de notre côté de la rive, et un autre de l’Île d’Orléans, compère de traversée de mon mari, sont venus prêter la main pour ériger une cabane et déserter environ cinq toises de terrain autour, puis ils sont repartis et on ne les a plus revus. La parfaite désillusion, chère Renée… Je n’ai presque pas parlé à Nicolas pendant dix jours. À vrai dire, je crois qu’il était aussi atterré que moi, car il n’a pas insisté pour faire la conversation. Quand la provision de lard et de pois nous a fait défaut à la fin juin, je me suis mise à la pêche sans grand succès, laissant Nicolas besogner dans les bois. Je me suis vite aperçu que son habileté à manier la hache équivalait à la mienne à jeter le filet, et le découragement le plus total s’est emparé de moi. Et puis, comme un malheur n’arrive jamais seul, Nicolas s’est fendu la jambe avec son outil. Nous avons alors touché le fond de notre accablement. Abandonnant tout sur place, nous avons ramé jusqu’au premier habitant rencontré en amont sur le fleuve. Là étaient les secours indispensables et malgré la charge que nous représentions pour nos bons samaritains, nous sommes restés sous leur toit durant presqu’un mois sans parvenir à guérir complètement la plaie de Nicolas. Au début d’août, nous avons dû convenir que sa blessure serait permanente et qu’il ne pouvait plus s’acquitter des travaux sur notre lot. Par conséquent, la semaine dernière, notre fief nous a été enlevé par ordonnance du Conseil Souverain. On y stipule également que nous sommes priés de retourner en France, la colonie n’étant pas en mesure de subvenir à nos besoins. En ce moment, la Nouvelle-France a grand soif de bras (et de jambes) alertes pour prospérer et elle a grande aversion pour les infirmes qui la contraignent.

Pour l’heure, nous sommes de retour à Québec et Nicolas s’emploie aussi activement que possible à différer notre retour en France, voire à l’annuler. Il s’est même mis en tête que si j’étais grosse, nous pourrions prolonger notre séjour et finir par se faire oublier du Conseil Souverain. Je ne partage pas du tout son opinion, ni son désir de rester. Moi, je veux assurément partir d’ici. Si je le pouvais, je me glisserais dans ce pli et m’embarquerais sur le premier navire en direction de La Rochelle… Les autorités tiennent les rênes de notre expulsion et c’est à elles de fixer la date du départ, fatidique pour Nicolas, opportun pour moi.

Hier, Nicolas a rencontré quelqu’un, j’ignore son nom, qui a promis d’agir dans notre affaire afin que nous n’ayons pas de passage de retour en France au cours de la présente saison. Cette annonce qu’il m’a faite avec la face rayonnante m’a décidée à t’écrire sans attendre plus avant les événements. Si leur projet réussit, j’aurai une année de sursis, voire plus, à demeurer sur place en vivotant et à pouvoir éventuellement enquêter sur Hélie. Je crois alors que je pourrai trouver quelque renseignement sur les hommes engagés en 1659 du côté de l’agent du sieur Péron, sur le navire duquel ont traversé ton Hélie et son ami Simon. Cet agent s’appelle Daniel Suire et bien qu’il ne soit en poste que depuis 1662, il a la réputation de tenir les livres de comptes aussi scrupuleusement qu’un notaire dans ses écrivettes. Mon mari a eu négoce avec lui et il sait où il tient office sur le port. De plus, Suire a épousé Louise Gargotin en février. C’est une des plus vieilles filles à marier arrivées en même temps que nous l’an dernier. Ça ne peut pas nuire que je la connaisse personnellement pour interroger son mari. Voilà tout ce dont je suis capable pour te complaire.

Mais en terminant cette missive, et ne t’en désole pas, je ne souhaite pas ardemment faire enquête pour toi. Mon plus cher désir est de retourner en France de sitôt. Partir cette année avant la fermeture de la navigation sur le fleuve; partir avec nos coffres lamentablement dépourvus; partir avant que d’être mise enceinte; partir avec mon mari éclopé et rentrer à Dieppe ou à La Rochelle, peu m’importe, mais revenir au pays. Je n’écris évidemment pas de tels propos à ma mère et te demanderais de les lui taire quand tu la verras. La lettre que je lui prépare est plus laconique et elle partira en même temps que celle-ci.

Dieu te garde,

Catherine Barré, ta fidèle amie qui veut absolument refaire la traversée, toute éprouvante qu’elle puisse être.

LarochelleDe Renée à Anne Lépine
Le vingt-six avril de l’an mil six cent soixante-quatre
De Renée Biret à Anne Lépine, Québec
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Bonne et aimable amie,

Tu vas te réjouir d’apprendre que j’ai suivi tes sages conseils de femme mature : j’ai fini par abandonner le travail au comptoir de Maître Denys, en février, en plantant l’exécrable commis  Raviau au milieu de ses poissons. Je me demande comment j’ai fait pour endurer ce malotru aussi longtemps après ton départ du marché. Depuis ton comptoir en face du nôtre, tu savais m’apaiser quand l’exaspération me faisait tourner en bourrique et tu réussissais toujours à calmer le jeu quand le ton montait avec le commis. Combien de bagarres ai-je évitées grâce à ton autorité calme ?  Lorsque tu as quitté ton étal à fromages, l’été dernier, j’ai réalisé que je n’y arriverais plus sans toi. Je me suis échappée des filets de Raviau pour m’embaucher à l’auberge La Pomme de Pin comme lavandière sous les ordres de ma tante Sarah. Cela me ravit. D’abord d’être en compagnie de cette parente charmante, qui d’ailleurs me sert de scribe pour ma correspondance, ensuite d’être dans un lieu grouillant de voyageurs pour les colonies. Ils ont tous la tête farcie de récits et de discours qui en étourdissent plus d’un, en particulier ceux qui n’ont jamais fait la fameuse traversée…

Avant ton départ et celui de mes amies de La Rochelle pour aller se marier en Nouvelle-France, il faut bien le dire, les contrées lointaines au-delà de l’océan ne m’intéressaient guère. Mais depuis l’été dernier, il ne se passe pas une journée où je n’essaie de vous imaginer dans votre quotidien insolite au cœur de la forêt sauvage. Les différentes dépêches reçues de la Nouvelle-France, qui de la main d’une des filles à marier, qui de la main d’agents en Canada, ont alimenté les conversations dans toute la cité au cours de l’hiver. Furetant d’une maison à l’autre, j’ai pris une part active à la collecte des informations, si bien que j’ai pratiquement repéré le lieu d’implantation de chacune de mes amies, du moins celles qui se sont mariées dans le mois même de leur débarquement. Pour les autres, je sais au moins de quel arrimage elles sont, soit celui de la Ville-Marie, soit celui de Québec. Ce qui est ton cas : j’ai appris, de la bouche de je ne sais plus qui, que tu es restée à Québec après votre arrivée en Nouvelle-France. Mais aucune nouvelle de ton mariage n’est venue préciser le lieu de ton établissement par la suite. Je ne doute pas une minute qu’à l’heure où je dicte ces lignes, tu es bien installée au bras d’un époux quelque part, du côté de l’Île d’Orléans, peut-être, une île qui me semble bien approvisionnée en filles à marier si j’en juge par le nombre de mes amies et connaissances qui y résident.  

Dernièrement, en fait assez récemment, j’ai eu l’idée de leur écrire à toutes. Pour garder le contact avec elles; pour approfondir mes connaissances sur la Nouvelle-France; aussi et surtout, pour enquêter sur mon fiancé Hélie Targer, dont tu te souviens sûrement, pour t’en voir touché mot plusieurs fois lorsqu’on trimait ensemble au marché. Bien que cette entreprise épistolaire paraisse farfelue, compte tenu des incertitudes entourant la livraison de lettres par bateaux dans un pays plus grand que la France, je m’y applique assidument. Ma tante ne rechigne pas à l’ouvrage car elle aime beaucoup écrire, connaît la plupart de mes correspondantes, et affectionne les histoires de cœur. J’avoue que mes maigres économies passent entièrement à l’achat d’encre et de papier, mais je ne renoncerais pour rien au monde à mon enquête sur Hélie Targer. Si d’aventure, tu as le goût d’y participer, ne te gêne pas. Je lirai, ou plutôt ferai lire, ta réponse avec joie. Il me tarde que tu me racontes par le menu ce que tu deviens là-bas. Quel est le nom de l’homme chanceux qui t’a conquise et quel empressement met-il à t’engrosser ? Il n’y a pas une année à perdre pour peupler la colonie !

Que Dieu te protège et comble ton désir d’être mère,

Ton amie Renée Biret,

Paroisse Notre-Dame-de-Cougnes, La Rochelle 

 


QuébecDe Anne à Renée
Notre-Dame des Anges, le cinq août mil six cent soixante-quatre
À Renée Biret, paroisse Notre-Dame-de-Cougnes, La Rochelle
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Très chère Renée,

Combien charmante a été la surprise de ta lettre arrivée le vingt-neuf juin dernier sur L’Aigle Blanc. Le temps de trouver un truchement pour la lire et un autre pour lui répondre, et nous voilà au début d’août, juste au bon moment pour préparer ma réponse qui te sera livrée par le même navire dont l’appareillage est prévu pour la fin du mois.

Je ne te raconterai pas par le menu ce que j’ai vécu depuis mon départ de La Rochelle, comme tu le réclames. Ce serait non seulement trop long et coûteux en papier, mais pas d’un si grand intérêt. Je vais me contenter du principal qui consiste en trois ou quatre points. La longue traversée de cent onze jours en mer m’a alanguie au point de me faire séjourner tout l’hiver chez les Sœurs hospitalières. Au printemps, j’avais suffisamment recouvré la santé pour qu’on me fasse abjurer la foi protestante en m’administrant le sacrement de confirmation en même temps qu’à une quinzaine d’enfants dont l’aîné avait dix-huit ans. Quelle mortification pour moi qui en avait vingt-sept ! Cela s’est passé le vingt-trois mars. Vingt jours plus tard, on publie les trois bans de l’annonce de mon mariage contracté chez le notaire Duquet le 12 avril et j’épouse François Boucher le 21 suivant.

Aussi bien dire que je me suis mariée avec un inconnu, puisque nous nous sommes vus que trois fois au cours de l’hiver, dans la salle commune des Sœurs hospitalières. Cependant, François Boucher n’est pas un inconnu aux yeux des religieuses ni aux yeux des administrateurs de la colonie où il roule sa bosse depuis une douzaine d’années. Il est natif de Saint-Maclou en Normandie et s’est embarqué pour la Nouvelle-France en 1651 alors qu’il n’avait pas vingt ans. Comme tu peux l’imaginer, j’ai gagné en sa personne un homme habitué de la place, un homme mûr, pourvu d’un petit bien et de quelques associés. Un homme qui sait exactement où il va et qui ne s’encombre pas des écueils. Les écueils de François Boucher semblent se concentrer autour de la location d’une terre à labourer dans la haute ville, terre qui lui a été retirée le surlendemain de nos noces faute d’y avoir œuvré.  D’ailleurs, voyant qu’il n’y réussissait pas assez vite, il s’est tourné vers le petit commerce, en particulier le transport léger des marchandises et a fait bâtir une maison dans la basse-ville à cette intention en 1661. Voulant également prendre femme et fonder un foyer, il s’est porté acquéreur d’un fief de deux arpents pris sur la rivière Saint-Charles l’an dernier, et c’est là que nous habitons depuis le mariage. J’aurais préféré rester à Québec mais ce n’est pas en ville que les couples de colons sont requis. Il est trop tôt pour moi qui n’y connais rien, pour dire si ce fief nous fera vivre convenablement. Mais l’endroit, tout champêtre qu’il est, présente un décor aimable, baigné par une rivière non moins agréable.

À Québec, mon mari est plus connu sous son sobriquet de «Vin d’Espagne» que sous le nom de François Boucher et je sursaute à chaque fois qu’il est question de lui autour de moi. Il m’a expliqué que son entreprise de transport à brouette a commencé en s’associant à un marchand qui importe presqu’exclusivement du vin provenant d’un fournisseur espagnol. Partout où mon mari livrait les tonnelets de vin, on l’accueillait avec cette appellation, «Vin d’Espagne» qui lui est restée. Dans ce curieux pays, on prend plaisir à affubler les gens de toutes sortes de noms, pour les différencier les uns des autres selon leur métier ou leur provenance en France ou leur allure. C’en est ahurissant ! Tu connais l’application que je mettais à bien nommer les clients et clientes au marché et l’idée d’utiliser un sobriquet m’aurait paru choquante à cette époque. Désormais, je dois vivre avec un époux «Vin d’Espagne» qui, au demeurant, ne s’en verse jamais une goutte.

Maintenant à moi de te surprendre. Au début de mon séjour chez les hospitalières, je partageais un coin de la salle avec Françoise Brunet, une compagne de traversée bretonne et mère de deux fillettes qui a perdu son mari lors de notre affreux périple sur l’Aigle D’Or.  À quelques reprises j’ai été appelée à veiller sur les petites en l’absence de leur mère. Cela s’est passé surtout en octobre quand Françoise, pressée de trouver époux, a rencontré Théodore Sureau. C’est alors que j’ai entendu parler de ton fiancé, son nom ne pouvait pas m’échapper. Il logerait actuellement chez Sureau ou il y a logé à compter de l’automne 59, pendant au moins les trois ans qu’ont duré son contrat avec le sieur Bissot de la seigneurie de Lauzon. Depuis son mariage en novembre l’an dernier, Françoise Brunet vit donc non loin du domaine de l’ancien employeur d’Hélie Targer à Pointe-de-Lévy. En nous séparant, elle m’a promis de me donner régulièrement des nouvelles des petites, et nous sommes ainsi restées en contact par nos maris qui font parfois commerce ensemble. À la première occasion, je chercherai à en savoir davantage sur ton fiancé. Tu peux également tenter d'écrire à Françoise Brunet et apprendre directement d’elle ce qu’elle sait à son sujet. Adresse ta lettre chez Théodore Sureau, seigneurie de Lauzon, Pointe-de-Lévy.

Deux autres de mes compagnes de traversée sont établies sur la même seigneurie que Françoise et ont possiblement croisé ton Hélie, il s’agit d’Anne Gendreau et de Suzanne De Licerace. Louise Menacier qui a voyagé sur le Phoenix de Flessingue l’an dernier a épousé un dénommé Toussaint Ledran que mon mari considère comme l’un des censitaires les plus entreprenants sur cette même seigneurie. Si tu veux multiplier les lettres et que ta tante te soutienne dans cette industrie, voilà une liste de filles à marier à qui tu peux adresser ta question sur le lieu de résidence d’Hélie Targer. Surtout, réconforte-toi qu’il portait encore son nom l’an dernier, et non un quelconque sobriquet, car alors, il devient impossible de retracer les gens quand ils changent de nom… 

Reçois toute mon amitié, que Dieu te garde et la meilleure des chances t’accompagne dans ta quête.

Anne Lépine  

LarochelleDe Renée à Catherine Paulo
Le vingt-septième jour d’avril de l’an mille six cent soixante-quatre
De Renée Biret à Catherine Paulo, Nouvelle-France
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Chère Catherine Paulo,

Comme à la plupart des jeunes filles gardées au Couvent St-Joseph des Sœurs de la Providence et parties l’an dernier se marier en Nouvelle-France, je vous écris. Ne sachant pas où vous avez échoué là-bas et les Sœurs ne le sachant pas non plus, je ne peux mieux diriger ma lettre et je ne sais si vous allez un jour la recevoir. Si tel allait être le cas par le plus grand des hasards, j’en remercie le Ciel.

Voici l’objet de ma requête. Votre cousine Marie Paulo et Simon Pépin étaient très liés à l’été 1659 et ils se sont embarqués sur le Saint-André avec le contingent de recrues formé par Mère Marguerite Bourgeois pour développer la région de Ville-Marie. Simon Pépin faisait-il partie officiellement de la levée d’engagés par la religieuse ? Je ne saurais le dire. Mais ce qui est certain est qu’il était accompagné par son ami Hélie Targer. Ce dernier se trouve à être mon fiancé. Simon et Hélie devaient compléter leur engagement de 36 mois comme charpentiers à l’automne 62 et revenir à La Rochelle. Leur famille, celle de votre cousine Marie et moi-même sommes sans nouvelles d’eux depuis leur départ et nous nous interrogeons sur les intentions de retour d’Hélie Targer, moi en particulier…

Plutôt que de rester à ne rien faire, j’ai décidé d’aller au-devant des nouvelles à propos d’Hélie en rédigeant des lettres à toutes mes amies et connaissances établies au Canada. La même question se répète d’une lettre à l’autre : où est Hélie Targer ? Je suppose, et cela n’est qu’une supposition, que vous avez cherché à retrouver votre cousine Marie dès que vous avez mis le pied au Canada, surtout si vous avez abouti à Ville-Marie, comme plusieurs de vos compagnes de traversée. Si d’aventure  vous aviez retrouvé Marie Paulo, auriez-vous l’amabilité de l’interroger sur son ami Simon Pépin et sur Hélie par la même occasion ? Je vous serais infiniment reconnaissante si vous pouviez m’aider à retracer mon fiancé.

Toutes mes amies parties l’an dernier se marier en Nouvelle-France rêvaient d’un mariage d’amour. Je ne sais pas encore si elles ont réussi dans cette entreprise. J’ai espoir que le retour des navires en France à l’automne prochain m’apportera quelques réponses à ce chapitre. À l’âge de 18 ans, vous ne dérogez sûrement pas aux espérances de vos consœurs filles à marier et je souhaite que vos vœux pour une union d’amour se soient exaucés. Ainsi comprendrez-vous l’attachement que j’éprouve pour mon fiancé et voudrez-vous collaborer à l’enquête que je fais sur lui.

Recevez mes salutations, mes remerciements anticipés et mes sincères amitiés,

Renée Biret,

Auberge de la Pomme de Pin, La Rochelle. 

 


QuébecDe Catherine à Renée
Ville-Marie, le 9 août de l’an mille six cent soixante-quatre
À René Biret, auberge La Pomme de Pin, cité de La Rochelle
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Chère Renée Biret,

Vous avez parlé de hasard dans votre lettre et je dis que c’est tout un enchaînement de bonnes fortunes qui ont permis à votre lettre de me parvenir le mois dernier. Il serait long de narrer le chemin qu’elle a parcouru entre vous et moi et je me sentirais coupable de ne pas faire l’effort d’y répondre devant la grande persévérance du Destin dans l’intérêt du courrier. D’autant plus que je puis vous renseigner sur votre fiancé.

À mon arrivée en Nouvelle-France, j’ai été dirigée vers Ville-Marie précisément parce que les autorités savaient que ma cousine Marie Paulo y était. Dans la mesure du possible, on a essayé d’envoyer les filles à marier là où elles avaient de la parentèle afin de faciliter leur installation. Effectivement ai-je assez rapidement retrouvé ma cousine dès mon débarquement. Marie a même favorisé mon mariage rapide en me présentant le maçon et taillandier Étienne Campeau que j’ai épousé à peine deux mois suivant mon arrivée. Ma cousine et son mari ont servi de témoins à mon mariage. Celui-ci s’appelle Joseph-Daniel Panier et il est dans la milice de Ville-Marie tout comme Étienne, dans le peloton de Ste-Famille créé par le Sieur De Maisonneuve. On peut dire que nos maris sont appelés à voir de près les Iroquois, ce qui n’est pas rassurant mais on tente de ne pas trop y penser. Bref, c’est de là que les deux hommes se connaissent. Les informations sur Hélie Targer et Simon Pépin me viennent dudit Joseph-Daniel Panier. Comme eux deux, il exerce le métier de charpentier et c’est à ce titre qu’il a été recruté par Mère Marguerite Bourgeois au printemps 59, en même temps que ma cousine Marie Paulo. Elle et son mari se sont connus durant la traversée sur le Saint-André et se sont mariés et établis à Ville-Marie peu après leur arrivée. Par contre, ce n’est pas le cas de votre fiancé et de son compagnon. Aux dires de Panier, ils étaient si malades à la fin de leur traversée qu’ils ont été délestés à Québec. Ici s’arrête le récit des informations utiles à votre enquête. 

Pour terminer, je rajoute que j’ai réussi un mariage d’amour, ce que vous me souhaitez. Comme je réponds à votre lettre avec l’aide de ma cousine, car je ne sais pas écrire et elle oui, je vous confie sans pudeur qu’elle y est pour beaucoup dans cette réussite. Mon couple est déjà récompensé par le Ciel puisque je porte un enfant et ma délivrance est prévue le mois prochain. 

Je vous remercie de votre lettre et vous autorise à partager les nouvelles que je vous donne sur moi, avec les Sœurs de la Providence de La Rochelle, si elles en veulent, et avec les membres de la famille Paulo, s’il en reste encore résidant dans la Cité. 

Mes amitiés, chère Renée Biret, 

Catherine Paulo par la plume de Marie Paulo