L’Enquête de Renée Biret

Le roman épistolaire L’Enquête de Renée Biret se présente en plusieurs épisodes. Dans ce treizième épisode, trois femmes écrivent à Renée. L’une d’elles avait promis de le faire ; l’autre veut devenir une correspondante régulière ; et la dernière le fait de façon spontanée sans autre motif que de la remercier.
Lire aussi l’épisode précédent et l’épisode suivant.

Automne 1668

QuébecDe Marie Léonard à Renée
Le vingtième jour de septembre de l’an mille six cent soixante-huit
À Renée Biret, aux soins de Sr Jean-le-Baptiste, Maison des Hospitalières de La Rochelle
De Marie Léonard, Boucherville, Nouvelle-France
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Chère Renée,

Je t’ai promis que je te reviendrais sur mon mariage et il est temps de le faire. J’ai décidé d’utiliser le truchement de Sr Jean-le-Baptiste parce que ta tante Sarah n’apprécie pas que je t’écrive, si j’en juge par le commentaire qu’elle a ajouté dans la réponse à la lettre que je t’ai envoyée à l’automne 66.

Du temps où j’étais sœur converse à l’hospice, Sr Jean-le-Baptiste est la seule religieuse qui démontrait une compassion véritable pour les filles de familles protestantes et qui ne m’accablait pas de reproches ou de taches trop pénibles. C’est d’ailleurs Sr Jean-le-Baptiste qui a favorisé mes sorties en 65 pour régler mon contrat de donation chez le notaire Demontreau. En fait, c’est grâce à elle si je n’ai pas quitté l’hospice sans le sou, au printemps 66. Quand Marie Chaton m’a rapporté qu’une religieuse hospitalière t’avait demandé de lui donner des nouvelles de son ancienne logeuse, j’ai tout de suite pensé à Sœur Jean-le-Baptiste. Je lui ai envoyé un pli l’an dernier pour l’informer de ma situation et la remercier pour son appui et, dans sa réponse, elle m’a affirmé être en contact avec toi. Je crois qu’elle est très intéressée par la Nouvelle-France et qu’elle aimerait même pouvoir venir y servir. Je le lui souhaite sincèrement. Désormais, tu seras mieux à même que moi d’en apprendre sur le sujet si tu l’utilises comme truchement.

Pour ma part, j’ai eu la bonne fortune d’épouser un notaire et je suis enchantée de pouvoir l’assister dans ses travaux d’écriture en me chargeant de certaines copies d’actes. Il s’agit de René Rémy dit Champagne et nous sommes parfaitement assortis lui et moi. René Rémy est originaire de L’Huitre en Aube et il jouit d’une instruction complète que sa famille lui a procurée en le plaçant en apprentissage chez un juge, dès sa prime jeunesse. Le seigneur Pierre Boucher en a fait son homme de confiance pour maintes questions à régler sur sa seigneurie des Îles Percées de Boucherville, vis-à-vis l’île de Montréal. C’est là où nous sommes actuellement installés. Notre maison est bonne et elle est pratiquement située au milieu de la seigneurie. Depuis que le seigneur Boucher a décidé d’y déménager, le fief connaît un regain de peuplement. Chaque mois, nous voyons l’arrivée de nouveaux censitaires, des Français fraîchement émigrés. Certains sont des gens qui ont été attirés dans le pays par les écrits du seigneur Boucher parus en 64 sous le titre de «Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du pays de la Nouvelle-France vulgairement dite le Canada». Il n’y a pas de ses livres ici et c’est dommage car j’aimerais bien voir comment il décrit le pays à nos compatriotes en France.

En mars dernier, mon mari a aménagé dans le coin sud-est de la maison, un petit office pour ses affaires. Le lieu est clos par des parois de bois et il bénéficie d’une fenêtre assez grande pour éclairer correctement la table de travail. Nous y vaquons parfois ensemble, mais assez souvent, mon mari se rend chez les clients pour compléter les actes qu’il prépare ici. Je veille alors à ce que son boîtier contenant son nécessaire à écrire soit garni et en ordre. Quel travail plaisant, minutieux et gratifiant ! Chère Renée, je me sens exactement dans la situation matrimoniale que je voulais atteindre en m’embarquant pour la Nouvelle-France. J’ai l’attachement de mon mari; l’amitié du seigneur et l’affection particulière de dame Jeanne Crevier, son épouse; et j’ai aussi l’estime de tous nos voisins qui me considèrent comme une femme savante. Je consens volontiers à rédiger leurs lettres et missives et à faire la lecture de leurs documents lorsqu’ils me le demandent. Un peu comme ta tante Sarah le fait pour toi. Je me garde d’interpréter les choses qu’on confie à ma plume ou de les trafiquer. J’ai à cœur le respect de la parole d’autrui et la dignité dans mon rôle de truchement.

En terminant, j’aimerais te donner des nouvelles d’Anne Javelot et des autres Rochelaises que tu connais bien, mais je n’ai rien appris de nouveau sur elles au cours de la dernière année. Quel que soit l’avancement de tes recherches pour retracer Hélie Targer, je te souhaite le dénouement le plus satisfaisant qui soit. Tu demeures présente dans mes prières, très chère Renée. Mes salutations à ta tante.

Ton amie fidèle, Marie Léonard.


LarochelleDe Renée à Marie Léonard
Le quinzième jour de juin de l’an mille six cent soixante-neuf
À Marie Léonard, Seigneurie de Boucherville, Nouvelle-France
De Renée Biret, par l’entremise de Sr Jean-le-Baptiste, Maison des Hospitalières
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Chère Marie,

Rien ne m’a fait plus plaisir que ta lettre, car en effet, j’avais bien hâte de connaître la suite de tes péripéties en Nouvelle-France. Bien que Marie Chaton m’ait appris ton mariage avec le notaire de Boucherville, je ne savais pas grand-chose d’autre. D’ailleurs, je ne connaissais même pas ce lieu en Nouvelle-France. La seigneurie de Boucherville doit être bien récente de fondation. Par ailleurs, son seigneur Pierre Boucher n’est pas un inconnu ici. Il jouit d’une grande réputation auprès des autorités et ses rapports sur la Nouvelle-France sont très prisés dans les officines et même à la cour du roi. Je vais tenter de me procurer le livre dont tu me parles. Selon Sr Jean-le-Baptiste, j’ai plus de chance de le trouver qu’elle-même. Il est vrai qu’à l’auberge, nous sommes en contact avec un grand nombre d’agents et de commerçants qui font la promotion du Canada dans leurs affaires. Si je mets la main sur l’ouvrage et que j’ai l’argent pour l’acquérir, je l’achèterai et je te l’expédierai. Sr Jean-le-Baptiste en aura la primeur de lecture avant mon envoi, bien entendu.

Permets ici un compliment à notre truchement. Je le fais en toute sincérité. Je bénis avec enthousiasme  la collaboration de Sr Jean-le-Baptiste dans notre correspondance. Ma tante Sarah se fait vieille et il peut lui arriver de me faire défaut dans ses inscriptions, comme tu l’as quelque peu constaté. Dans un proche avenir, Sr Jean-le-Baptiste pourrait bien m’être indispensable pour garder vivant le lien d’amitié qui m’unit à mes chères amies rochelaises parties au Canada.

Mes recherches pour retracer Hélie Targer s’achèvent. Non pas que je l’aie repéré, mais il semble de plus en plus volatile et inatteignable par l’intermédiaire de quelque correspondante. Si l’une de mes enquêteuses sur place arrivait à le coincer quelque part, je ne suis pas certaine qu’il accepterait de communiquer avec moi, à sa demande expresse. En fait, je suis persuadée qu’Hélie sait actuellement que je le recherche. Son refus de se manifester parle de lui-même. Il n’est probablement plus mon promis. Partager cette réflexion avec toi sans que ma tante en prenne connaissance me soulage. Je ne veux pas la troubler avec ma déception amoureuse, mais il faillait me délester de cet aveu à quelqu’un. Merci d’être ma confidente discrète.

Tu es absolument formidable de faire œuvre de scribe pour les personnes dans ton entourage et je t’en estime davantage. Combien il est important pour les gens du commun d’avoir les talents d’une savante pour écrire et lire à leur place ! En terminant, reçois mes meilleurs vœux de bonheur et de prospérité avec ton époux, très chère Marie.

Ton amie rochelaise, Renée Biret
Par l’entremise de Sr Jean-le-Baptiste,
Maison des Hospitalières de La Rochelle.   

QuébecDe Marie Albert à Renée
Le vingt-deuxième jour de septembre de l’an mille six cent soixante-huit
À Renée Biret, Auberge La Pomme de Pin, Cité de La Rochelle
De Marie Albert, Québec, Nouvelle-France
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Chère Renée Biret,

L’entrée au port du premier navire de France en juin dernier a été accueillie dans l’allégresse car nous étions plusieurs habitants à espérer quelque chose de sa cargaison. Des provisions de bouche et des outils pour plusieurs; du drap et de la vaisselle pour certains; des hommes engagés et des filles à marier pour les seigneuries; et une lettre de vous pour moi. Votre réponse cordiale m’encourage à continuer nos échanges et je vous en remercie.

Je ne sais pas si mon frère Guillaume a rencontré votre fiancé sur la coste du Sud à l’automne dernier car nous ne nous sommes pas revus. Je vous avoue que j’ai connu un dur hiver avec la perte de mon nourrisson et la maladie de ma petite Marie, qui va mieux maintenant, Dieu merci ! Elle aura un frère ou une sœur dans deux mois, et si Dieu le veut ils grandiront ensemble et perpétueront le nom de Chauveau dans le pays. Mon souhait le plus cher est de mettre au monde d’autres enfants, car la famille est ce qui est le plus estimé ici et le plus aimable à Dieu. Mais je ne veux pas vous ennuyer avec cela.   

Si vous le voulez bien, revenons à l’arrivée à Québec du navire Le Don de Dieu. Parmi les passagères se trouvaient deux Rochelaises de votre connaissance, Anne Poitraud et Louise Faure dite Planchet que j’ai eu le plaisir de rencontrer, vu qu’elles ont logé dans la maison voisine de la mienne. Je les ai trouvées bien charmantes, Anne Poitraud surtout. Votre amie Louise est de nature plus réservée, mais elle n’a eu que des bons mots à votre endroit et vous tient en grande amitié. Anne Poitraud s’est mariée la semaine dernière et est partie vivre à Charlesbourg, tandis que Louise a changé de logeuse et serait maintenant à Beaupré.

Une troisième passagère, Marie Robineau, a été portée à ma connaissance par le biais de mon mari. Vous ne la connaissez probablement pas car elle est Parisienne. Elle est courtisée par un soldat du régiment Chambellé, dans la compagnie De la Durantaye. Il s’agit de Jean-Pierre Forgues dit Monrougeau. Mon mari et lui se voient souvent et ont un intérêt commun pour les fiefs de la coste du Sud. J’ai immédiatement pensé à votre enquête quand j’ai appris que Forgues espère s’établir là-bas, son capitaine lui ayant promis une concession à son retour de France. Apparemment, les plans pour trois seigneuries sont faits et elles seraient concédées dans un proche avenir. Les terres vacantes sont sises entre la Pointe-de-Lévy et la seigneurie de Bellechasse qui appartient au sieur Marsolais. Déjà, des colons commencent à y défricher un lopin et des travaux de charpenterie seraient requis en ce moment ou le seront bientôt. La rareté des charpentiers là-bas me donne à penser que votre fiancé sera en demande, si ce n’est pas le cas dès à présent.

Tout cela doit vous sembler assez imprécis comme renseignement. Habituellement reconnue pour être très raisonnable, je peux parfois me faire prendre par une idée qui est davantage une intuition qu’autre chose de plus concret. C’est le cas avec votre fiancé. Je ne sais pas exactement où se trouve Hélie Targer en Nouvelle-France, mais j’ai le sentiment très fort qu’il est sur la coste du Sud. Ne m’en veuillez pas pour cette réflexion qui vous laisse peut-être dans un état d’espoir qui risque de se voir déçu. Là n’est certes pas mon intention, chère Renée Biret.

En terminant cette lettre, je joins les salutations de Catherine De Boisandré qui est devenue une amie très fidèle. Ses visites régulières à la maison agrémentent mes journées et font le bonheur de ma fille. Je ne pourrais m’en passer, ce qui arrivera pourtant lorsqu’elle mettra au monde un premier enfant.

Recevez ma tendre amitié,
Votre amie à Québec, Marie Albert.

 


LarochelleDe Renée à Marie Albert
Le quinzième jour d’avril de l’an mille six cent soixante-neuf
À Marie Albert, Québec, Nouvelle-France
De Renée Biret, La Rochelle, France
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Chère Marie Albert, 

Le soin que vous mettez dans le soutien d’une correspondance assidu m’épate et me réjouit.  Le souci que vous avez de ne pas m’accabler de propos tristes me conforte et me montre à quel point vous êtes animée de sentiments délicats. N’ayez aucune crainte au sujet de vos intuitions. J’en ai moi-même assez souvent, mais je n’ai pas comme vous la réputation d’être une femme particulièrement raisonnable. Si vous avez la foi qu'Hélie Targer travaille sur la coste du Sud, je veux bien la partager. 

Votre supposition est possiblement la bonne. À l’automne dernier, j’ai reçu la réponse de Suzanne De Licerace à ma lettre de juin. Dans cette lettre, elle me confirme qu’Hélie Targer a passé l’année 68 dans la seigneurie de Lauzon jusqu’en septembre, moment où il s’est joint à un groupe de soldats démobilisés qui parcouraient la coste du Sud en quête de lots à défricher. Voyez comme votre renseignement sur le soldat Jean-Pierre Forgues et celui de Suzanne De Licerace se recoupent. Il ne peut y avoir de coïncidence là-dedans, n’est-ce-pas ? 

Même si j’ai la nette impression, comme vous, que mon fiancé est à cet endroit en Nouvelle-France plutôt qu’à un autre, cela ne me met pas encore en contact avec lui. Dans toute cette enquête, voilà ce qui me fait douloureusement défaut : un messager ou une messagère. Suzanne De Licerace est venue sur le point d’en être une mais elle a joué de malchance. Cela a peut-être raté cette fois, mais cela fonctionnera une autre fois. J’y crois. Il me faut y croire. 

Je vous suis reconnaissante pour votre fidélité et votre bienveillance à mon endroit. C’est de tout cœur que je vous souhaite une famille nombreuse et la santé pour y pourvoir. Transmettez mes salutations à Catherine De Boisandré à sa prochaine visite. 

Je vous embrasse chaleureusement et vous place dans mes prières,

Renée Biret

QuébecD’Anne Poitraud à Renée
Le trentième jour de septembre de l’an mille six cent soixante-huit
À Renée Biret, Auberge La Pomme de Pin, La Rochelle
D’Anne Poitraud, Charlesbourg, Nouvelle-France
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Chère Renée Biret,

M’étant récemment accointée avec Marie Repoche et son mari tailleur d’habits qui se propose comme truchement, j’ai eu l’idée de vous écrire pour vous remercier des nombreuses informations que vous m’avez baillées. En jactant avec vous au marché du quartier de Notre-Dame-de-Cougnes, je ne pensais pas en apprendre autant sur la Nouvelle-France. J’ai partagé la couchette de Louise Faure durant la traversée sur Le Don de Dieu et je vous assure que nous avons ressassé les récits tirés des quatre années de correspondance avec les filles à marier que vous avez bien voulu nous faire avant notre départ. Les moments de partage entre Louise et moi ont grandement facilité notre voyage en portant notre attention sur ce que nous aurions à affronter dans notre future vie plutôt que sur les faces de carême de nos compagnes continuellement malades.

Je vous le dis tout d’un morceau, vos informations m’ont été très utiles. Elles m’ont permis d’accélérer la trouvaille d’un époux et mon établissement sur un bon lot dans la seigneurie de Charlesbourg. Voyez le portrait. Je suis débarqué le 21 juillet et je suis mariée depuis à peine une quinzaine. Est-ce à dire combien les choses se sont passées franchement pour moi. Mon mari est un Poitevin d’origine, il a vingt-sept ans, il est tisserand en toiles, il s’appelle René Bruneau dit Jolicoeur. Il est assez aimable. Nous nous entendons bien lui et moi, jusqu’à maintenant. J’ai fait parvenir la nouvelle à mes parents. Inutile de vous déplacer pour le leur annoncer. Votre amie Louise Faure n’avait encore rien signé quand je me suis mariée le 17 septembre dernier en l’église Notre-Dame de Québec. J’imagine qu’elle vous écrira elle-même ce qu’il lui advient depuis notre débarquement.

Marie Repoche vous transmets ses salutations. Recevez les miennes avec toute ma gratitude.
Une de vos connaissances de La rochelle, Anne Poitraud,
par la main de Julien Jamin, époux de Marie Repoche.

 


LarochelleDe Renée à Anne Poitraud
Le quinzième jour de juin de l’an mille six cent soixante-neuf
À Anne Poitraud, Seigneurie de Charlesbourg, Nouvelle-France
De Renée Biret, La Rochelle
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Chère Anne Poitraud, 

Je vous remercie de votre bonne lettre que je ne m’attendais pas à recevoir par le retour des navires en France au cours de l’automne dernier. Vous m’étonnez par vos éloges sur ce que je considère comme du bavardage entre commères au marché. J’étais loin de m’imaginer que vous tireriez quelque chose de nécessaire dans tout cela. Tant mieux si des informations ont pu vous être utiles. Je crois cependant que vous devez votre efficacité à vous être dégotté aussi rapidement un mari à votre propre débrouillardise. Louise Faure qui a supposément bénéficié des mêmes informations que vous n’en a visiblement pas fait le même usage fructueux. Mais je pense qu’elle avait moins envie que vous de prendre un époux. 

Permettez que je vous félicite pour votre mariage et votre établissement à Charlesbourg, une seigneurie où j’ai plusieurs connaissances et amies. Saluez Marie Repoche en mon nom. Son mari et le vôtre ont un intérêt commun pour les tissus. Lui pour les étoffes qui habillent les gens et votre mari pour les toiles qui habillent les mâts de voilures. 

Je vous souhaite bien du contentement et de l’avancement en Nouvelle-France.

Votre amie rochelaise, Renée Biret