L’Enquête de Renée Biret

Le roman épistolaire L’Enquête de Renée Biret se présente en plusieurs épisodes. Dans ce quinzième et dernier épisode, Renée annonce à sa grande amie Marie Valade qu’elle s’embarque pour la Nouvelle-France l’année suivante. Deux autres Marie lui écrivent à l’automne de leur débarquement. L’une s’interroge sur l’annulation d’un contrat de mariage ; et l’autre l’encourage à refaire une demande auprès de la recruteuse.
Lire aussi l’épisode précédent.

Année 1670

LarochelleDe Renée à Marie Valade
Le seizième jour du mois de juin de l’an mil six cent soixante-dix
De Renée Biret, La Rochelle
À Marie Valade, Coste St-François de Ville-Marie
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Très chère Marie, mon amie fidèle,

Les dés sont jetés. Je vais partir. C’est décidé. Mon embarquement pour la Nouvelle-France se fera au printemps prochain. Tout est en place, maintenant. Tante Sarah est d’accord avec mon départ, et même l’encourage. Les propos que tu m’as tenus dans ta dernière lettre étaient des plus éclairés. Tante Sarah partage entièrement ton opinion : je dois choisir d’aller vers le mariage au lieu de rester rivée à mon serment de fiançailles.

Le mois dernier, à la suite d’une conversation où je lui faisais part de mon intention de quitter La Rochelle, tante Sarah m’a avoué qu’elle mijotait la même chose, c’est-à-dire de se joindre à un groupe de protestants qui émigrent vers la Hollande, en février prochain. Cela m’a stupéfiée et grandement allégée. J’ai aussitôt refait la même démarche que l’an dernier, auprès de la même dame recruteuse, madame Élisabeth Étienne. M’ayant reconnue, la dame m’a demandé si j’avais changé d’idée concernant mon fiancé protestant et j’ai répondu que oui. Je croyais l’affaire bien engagée jusqu’à ce qu’elle mentionne une nouvelle exigence au recrutement, celle de produire une copie de mon baptistère ou un billet du curé de Notre-Dame-de-Cougnes. Tu vois combien l’idée de faire de la Nouvelle-France un pays absolument catholique est demeurée vive chez ses administrateurs. Honnêtement, je ne pouvais pas rencontrer ce critère sans manigancer ou mentir. J’ai donc renoncé encore une fois à mon enrôlement de fille à marier. Le contingent de madame Étienne s’est formé sans moi et il s’est embarqué hier sur le La Nouvelle-France.

Or, messire Jean Talon montait également à bord du navire. Cela est peut-être connu à Ville Marie, Jean Talon retourne en Nouvelle-France à la demande expresse du roi, et il recouvre son titre d’intendant. Comme à chacun de ses passages à La Rochelle, il a séjourné à La Pomme de Pin et on m’a assignée à son service. Je suis naturellement allée le saluer sur le quai d’embarquement et je l’ai retrouvé en compagnie de madame Étienne. L’échange qui s’en est suivi a révélé à messire Talon le rejet de ma candidature et son motif. Il a eu la bonté de se désoler du désagrément et il m’a assurée de son patronage pour que je sois intégrée au contingent de l’année prochaine. Comment ne pas s’accrocher à la promesse d’un tel gentilhomme et si influent ? C’est bien sûr ce que je fais.

Ho, Marie, je suis si excitée ! Nous allons nous revoir, si la chance est de notre côté. Quel bonheur ce sera de te serrer dans mes bras, enfin ! Tante Sarah jubile autant que moi et t’envoie mille baisers. Je n’ai pas le temps d’écrire la nouvelle à toutes nos amies, car Le Saint-Pierre appareille dans deux ou trois jours vers la Nouvelle-France. C’est le dernier bâtiment en partance pour cette destination cette année et c’est ma dernière feuille de papier.

Je t’embrasse avec bonheur et liesse !

Ton amie fervente, Renée 


QuébecDe Marie Valade à Renée
Le treizième jour d'octobre de l’an mil six cent soixante-dix
De Marie Valade, Coste-St-François, Ville-Marie
À René Biret, Auberge La Pomme de Pin, Cité de La Rochelle
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Très chère Renée et bienveillante Sarah,

Je ne sais pas si vous recevrez ce pli écrit dans la précipitation, il est rempli d’allégresse. La nouvelle est merveilleuse. Chère tante Sarah, je vous félicite d’avoir donné le coup de pouce qui manquait à votre nièce pour faire le saut vers la colonie. Sans votre aide, je pense que mon amie serait demeurée à La Rochelle toute sa vie. Brave Renée, j’ai moi aussi pleinement confiance dans le pouvoir de messire Jean Talon pour repousser les tracasseries qui t’empêchent de prendre ton rang parmi les filles à marier.

Une année d’attente avant de te revoir… Comme cela me paraîtra long ! Que trouveras-tu en arrivant chez moi ? D’abord une maison pleine d’enfants. Ma dernière-née est arrivée le 21 juin, l’an dernier. Elle s’appelle Marie-Geneviève, du nom de sa marraine Marie-Geneviève Laisné, une fille à marier du contingent de ’67. Son parrain est l’époux de notre Françoise Moisan, Antoine Brunet. Mon cinquième marmot est en route, je crois avoir trois mois faits. Mon mari veut un deuxième fils et j’espère que notre Maître tout puissant l’exaucera… Que trouveras-tu d’autre ? Une terre nourricière tout autour de nous, des sillons tracés bien droit, des bêtes à cornes vaillantes, un potager verdoyant, et ton amie maigrichonne, fatiguée, mais bienheureuse.

Mon cœur est fébrile à l’idée de te revoir*, chère Renée. Puisse le Ciel te protéger durant ton périple en mer et t’accompagner jusqu’au seuil de ma porte ! Les mêmes soutiens divins pour vous, tante Sarah, sur la route menant au pays de la Hollande et des calvinistes.

Votre Marie fidèle et amicale 

*Marie Valade ne reverra pas Renée. Celle-ci débarque à Québec le 30 juillet 1671 et demeurera dans la région, où elle se marie le 9 juin 1672 à Pierre Balan dit Lacombe. 

QuébecDe Marie Ariot à Renée*
Le dix-septième jour d'octobre de l’an mil six cent soixante-dix
De Marie Ariot, Maison Le Roy, Ville de Québec, Nouvelle-France
À Renée Biret, Auberge La Pomme de Pin, Cité de La Rochelle, France
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Chère et plaisante Renée Biret,

Si mon voyage entre St-Martin d’Unvere et La Rochelle a été malcommode, comme je vous l’ai narré, le voyage entre La Rochelle et Québec a été un gros cauchemar. J’ai été malmenée, affamée, barbouillée autant que faire se peut. Je suis enfin débarquée du La Nouvelle-France presque saine et sauve, le 31 juillet, après un transport crevant sur une mer plus souvent houleuse que calme. J’ai pensé à vos conseils durant toute la traversée et je les ai partagés avec ma compagne de couchette qui s’appelle Marie Denoyon et qui s’est embarquée à Dieppe. Elle est orpheline comme moi et, comme moi, elle a pu apporter un coffre de hardes et de choses diverses que madame Étienne a évalué à 200 livres tournois. Effectivement, ça nous place en bonne position pour trouver un parti avantageux. On ajoutera à ça les 50 livres de dot du roi. Toutes les deux, on est descendu du navire, assez confiantes. On s’est vraiment lié d’amitié et on espère ne pas se perdre de vue dans la colonie. Tout dépend évidemment des hommes que nous épouserons.

Voilà ce dont je veux vous parler ici. Le mariage et le contrat de mariage. Vous m’aviez raconté que plusieurs filles recrutées ont annulé un contrat de mariage et même deux avant d’en signer un qui soit avec un mari convenable. C’est une question qui nous chicotait, Marie Denoyon et moi et nous en avons parlé à madame Étienne. Celle-ci a répondu qu’il fallait avoir une bonne raison pour déchirer un contrat de mariage. En un mot, il ne faut pas le faire par frivolité. Hier, j’ai fait annuler mon contrat de mariage avec Claude Renard et je suis bien sûre que ce n’est pas par frivolité. Je ne vous raconterai pas mes raisons, ce serait trop long et lassant pour la personne qui écrit à ma place. J’espère que mon geste ne me vaudra pas d’être mise de côté par les autres célibataires en quête d’une fille à marier.

Le cas de mon amie Marie Denoyon est différent. Elle a signé un contrat de mariage le 25 août, moins d’un mois après notre débarquement, avec un dénommé Charles Davennes. Le gars lui a dit que le mariage aurait lieu à Beaupré, où il travaille depuis quatre ans et il y a emmené Marie. Ben voilà que le mariage n’a toujours pas eu lieu. Apparemment, ils vivent ensemble comme mari et femme, sur l’engagement de papier sans l’anneau nuptial.

Ma question : mon amie peut-elle encore annuler son contrat avec Davennes ou le délai est-il expiré ? Vous n’avez pas nécessairement la réponse à ça, mais merci de me donner votre opinion. Jusqu’à maintenant, tout ce que vous m’avez révélé est exact. Dommage que madame Étienne n’ait pas voulu de vous dans notre groupe. Vous êtes presque mieux renseignée qu’elle sur ce qui nous arrive en Nouvelle-France.

En toute amitié, Marie Ariot, Mariot pour les intimes. 

*Renée ne répond pas à cette lettre, car, au printemps 1671, elle s’embarque pour la Nouvelle-France sur Le Prince-Maurice avec 85 autres filles à marier accompagnées par madame Anne Gasnier. Marie Ariot deviendra la voisine de Renée Biret sur la seigneurie De La Durantaye. La fille de Marie Ariot, Marie Vandet, épousera en deuxièmes noces le fils aîné de Renée Biret, Jean-Baptiste Balan.


LarochelleDe Marie Denoyon à Renée*
Le dix-huitième jour d'octobre de l’an mil six cent soixante-dix
De Marie Denoyon, Beaupré, Nouvelle-France
À Renée Biret, Auberge La Pomme de Pin, La Rochelle, France
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Aimable demoiselle Renée Biret,

Vous ne me connaissez pas du tout, mais je vous connais un peu par l’entremise de ma compagne de traversée qui vous a rencontrée à l’auberge La Pomme de Pin. Il s’agit de Marie Ariot. Elle m’a beaucoup parlé de vous et c’est pourquoi je prends la liberté de vous écrire. Vous avez passé votre entrevue avec madame Élizabeth Étienne en même temps qu’elle, en mai dernier, et Marie ne comprend pas pourquoi vous n’avez pas été acceptée. Avec tout ce qu’elle m’a dit sur vous, je ne comprends pas non plus. Vous semblez tellement instruite sur la vie dans la colonie. Vous êtes une intime de l’intendant Talon. Vous avez des dizaines de correspondantes en Nouvelle-France. Vous êtes orpheline, malgré que ce ne soit pas un critère obligatoire. Vous avez la bonne santé et vous êtes assez jolie, d’après Marie Ariot.

Depuis mon arrivée à Beaupré, je côtoie un grand nombre de personnes qui ont toute sorte d’opinions sur les contingents de filles à marier que le roi envoie dans la colonie pour la peupler. Certaines gens, ceux venant de Paris surtout, disent que les protestantes restent prises dans le tamis des curés et ne passent pas en Nouvelle-France. Marie Ariot pense que c’est peut-être votre cas. Je suis fille de feu Adrien Denoyon, homme estimé de tous et maître vinaigrier dans le bourg d’Elbeuf. Absolument personne ne m’a demandé quelle religion je professais avant de m’embarquer comme fille à marier. Parce que je suis Normande et vous Rochelaise, il y aurait deux traitements ? Quelle injustice !

Rassurez-vous, mademoiselle Biret, je ne vous écris pas pour vous plaindre, mais pour vous remercier et pour vous encourager. Vous remercier d’avoir été si généreuse dans vos conseils et vos éclaircissements qui nous ont aidées à mettre un pied plus ferme sur le sol de la Nouvelle-France, Marie Ariot et moi. Vous encourager à poursuivre votre idée de venir dans la colonie. Proposez de nouveau votre candidature en mai prochain. N’hésitez pas à vous faire valoir auprès de la recruteuse. Apparemment, ce ne sera pas madame Étienne, qui vous a refusée deux fois, mais madame Gasnier qui sera l’accompagnatrice du contingent de filles en 1671.

Je vous souhaite bonne chance de tout cœur. Comme j’aimerais vous rencontrer !

Marie Denoyon, chez Charles Davennes, à Beaupré.  

*Renée ne répond pas à cette lettre, car, au printemps 1671, elle s’embarque pour la Nouvelle-France sur Le Prince-Maurice avec 85 autres filles à marier accompagnées par madame Anne Gasnier. Marie Denoyon habitera à deux lots de celui de Renée Biret, sur la seigneurie De La Durantaye avec son mari Charles Davennes, qui sera témoin à la sépulture de Pierre Balan dit Lacombe, le premier époux de Renée Biret.